Plus belle la friche - Un passé recomposé

Publié le par J. M.

Avec le boulot, dur de tenir ce blog à jour. Du coup, la nostalgie aidant, je vide les fonds de tiroir. Le texte à suivre aurait dû paraître sur le site web de mon ancien employeur. Mais à cause du je m'en foutisme des uns et de l'incompétence des autres, ce papier est resté lettre morte, comme tous ceux réalisés par mes confrères et consoeurs durant deux semaines de stage très enrichissantes. Voici donc un extrait, pour le moment sans photo (je vais tenter d'y remédier) d'un supplément jamais paru, et qui avait pour thème la métamorphose de la métropole lilloise. Ecrit il y a tout juste un an, le voilà enfin publié.


Elles étaient une verrue dans le paysage. Elles sont devenues un atout. Elles incarnaient les tares d'un Nord moribond. Elles abritent aujourd'hui ce qui fait son dynamisme. Les friches s'offrent une nouvelle vie. Une renaissance symbole des mutations de la métropole.

« Il n’y a quasiment plus de friches industrielles qui n’aient pas de projets de réhabilitation, à brève ou moyenne échéance. » Thibaut Brodin, du service économique de la ville de Roubaix n’en doute pas, ces vestiges du passé ouvrier « sont en voie de disparition ».  La fin des usines, des friches dans la métropole lilloise ? Il y a quelques années, la nouvelle aurait fait bondir de joie ses habitants, trop pressés d’en finir avec l’image qui collait à leur région : sombre, morose, minée. Aujourd’hui, leur réaction est bien plus mesurée.

C’est qu’en l’espace de quelques années, les friches, ces monstres de béton, d’acier et de briques au joli nom végétal, se sont muées en véritables mines d’or. Le regard que l’on portait sur elles s’est inversé. « Au début, explique  Emmanuel Brun, ingénieur chercheur spécialiste des friches industrielles, on ne se posait pas la question de leur devenir. Elles étaient là, point. » Une verrue dans le paysage urbain, un Ovni dans l’organisation de la ville que l’on refusait de voir, rappelant trop « le sang, la sueur, les larmes ». La cicatrice du chômage pas encore refermée, certains, dont d’anciens ouvriers « souhaitaient même qu’on les rase », précise Emmanuel Brun.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, « les raser n’était pas la solution la moins chère », assure le chercheur. De ces centaines d’hectares abandonnés, aux murs éventrés, machines à tisser retournées, charpentes affaissées et sols pollués au plomb et autres résidus chimiques, « il fallait faire quelque chose ». La meilleure idée ? « Y réimplanter des entreprises, idéal pour transformer au minimum » ces autels érigés à la gloire du Dieu Travail. En pratique, il était souvent difficile de trouver des repreneurs en phase avec l’activité passée du lieu.

Réhabilitées

Les anciennes usines ont finalement séduit un public inattendu.  Appâtés par les mètres carrés disponibles, en période de hausse des prix de l’immobilier, les promoteurs en ont fait des lofts. Avenue Jules-Guesde, à Roubaix, dans l’ancienne filature Leurent ou dans les murs de La Pie qui Chante, à Tourcoing, une nouvelle forme d’habitat a vu le jour, grand (rarement moins de 100 m2) et pas trop cher (1 300 euros le mètre viabilisé). Et les chantiers se sont multipliés: d’ici la fin de l’année, la Minoterie et la Teinturerie, deux friches roubaisiennes, suivront le même chemin. Fin 2008, quatre-vingt huit nouveaux lofts seront apparus à Tourcoing. Dans les vieux murs de briques rouges, les bobos auront bientôt remplacé les prolos. Sans parler des nombreuses transformations de friches en lieux culturels , qui ont changé la face de la métropole lilloise (les maisons folies de Wazemmes, Moulins, la Condition Publique à Roubaix, etc.).

Avec les réhabilitations, les friches historiques, témoins du passé textile de la métropole, tendent donc à se raréfier. Au risque, pour la région, de perdre une partie de son identité ?  « Certes, en convient Thibaut Brodin, c’est une activité historique de la région qui est en train de disparaître. La rançon de la gloire des villes renouvelées, en quelque sorte ». Un avis partagé par les « explorateurs urbains », ces archéologues industriels qui aiment pousser les portes des usines désaffectées  pour en capter l’esprit. « S’y glisser, se faufiler, s’immiscer, s’engager. Ne pas avoir peur de ramper, s’égratigner, s’écorcher les mains (…). Virilement provoquer le risque pour faire siennes la puissance et la démesure de l’usine (…). Entre fascination et dégoût, en revenir changé », écrivait en 2005, Sylvain Marcelli dans Tout doit disparaître (1), son ouvrage sur les friches illustré par Pierre Desjonquères.

Le temps de la nostalgie

Plus qu’un simple désir d’aventure, l’exploration clandestine des friches, particulièrement en vogue si l’on en juge aux nombreux sites Internet qui lui sont consacrés (2), se double souvent d’une certaine nostalgie. Nostalgie d’un monde terrible et oublié, dont il faut garder une trace. Nostalgie de ces immenses terrains de jeu, « espaces infinis de liberté » où enfants et ados prenaient le temps de se découvrir. « Pourquoi les endroits abandonnés sont-ils si attirants ? », s’interroge le photographe belge Henk Van Resbergen, connu pour ses clichés de friches (3). Outre l’aspect graphique, les anciennes usines comportent un attrait émotionnel, lié à la notion de patrimoine. La mémoire collective, voilà ce qui a permis à certaines friches d’êtres répertoriées, classées, protégées. Bâtiments de France, zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), requalifications, etc. Finalement, on finirait presque par vouloir conserver en l’état celles que l’on souhaitait autrefois voir disparaître au plus vite. L’office du tourisme de Roubaix en a même fait l’un des attraits de la ville, en organisant deux fois par an des visites de friches industrielles.

Friches et cycle

Peut-on, doit-on pour autant conserver ad vitam eternam ces vestiges ?  Pour Emmanuel Brun, la réponse est claire : « On ne peut pas tout garder. Un territoire ne peut pas vivre exclusivement sur son passé. La réhabilitation est un problème d’avenir et on ne peut pas se poser la question du patrimoine à tout bout de champ. Le patrimoine, c’est ce qu’il reste une fois qu’on a fait le tri ». Les friches, dans leur état sauvage, sont vouées à disparaître, cela paraît inévitable. Ce que confirme Michel Pacaux, maire de Frelinghien et vice-président de la LMCU (Lille métropole communauté urbaine) en charge des friches industrielles : « Il faut respecter cette mémoire, en conservant les murs, en gardant de temps en temps, une cheminée, pour ne pas oublier. Mais tout laisser en l’état, c’est impossible. »

Mais que les amoureux des friches se rassurent : « Les usines ferment moins qu’avant, mais elles se déplacent beaucoup plus, à cause des délocalisations », affirme Michel Pacaux. « Du coup, poursuit-il, de nouvelles friches apparaissent régulièrement dans la métropole ».  Voilà pourquoi leur nombre a continué d’augmenter entre 1995 et 2001 (de 116 à 232 recensées) alors que la plupart des filatures et teintureries du secteur avaient déjà fermé. En 2006, en dépit des nombreuses réhabilitations déjà achevées, la LMCU en dénombrait encore cent quatre-vingt. Un constat qui n’étonne pas Thibaut Brodin :  « Le concept de ville renouvelée est éternel. L’usure fera son œuvre et de nouvelles friches apparaîtront. C’est une histoire de cycles… »

 

J. M.

(1)  Tout doit disparaître, Sylvain Marcelli et Pierre Desjonquères, Inventaire/Invention, mars 2005.

(2)  http://www.cyberkata.org/index.php?op=viewlink&cid=10

(3)  http://www.abandoned-places.com  


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